L’apprenant est-il un consommateur comme les autres ?

par | 27 octobre 2020 | Marketing, Pédagogie

La formation rime de plus en plus avec consommation. Pour certains, il s’agit d’un oxymore. La formation ne saurait être une marchandise comme les autres. A-t-on besoin d’une exception formative comme d’autres en appelaient à l’exception culturelle ? D’autres considèrent encore, qu’après tout, l’homme achète bien des yaourts quand il en a besoin, pourquoi pas des formations ? Autant de questions intéressantes à explorer ensemble pour définir un devenir possible pour la formation. Mais de quoi parle-t-on au juste ? 

1, Qu’est-ce que la consommation de formation ? 

Ce qui est intéressant dans l’étymologie du mot consommation, c’est qu’il vient de cum et de summa,  qu’on pourrait traduire par “prendre avec soi” et finalement apprendre est assez proche de cette définition. Alors pourquoi une telle inversion pour la consommation ? Pour répondre à cette question, il faut faire le détour des définitions de “apprendre” et “former”. Ces deux termes sont bien souvent mélangés et pourtant ils ne recouvrent pas la même réalité. Si “apprendre” consiste en une personne qui prendre avec soi des connaissances et des compétences ; “former” est un apprentissage socialisé, autrement dit une convention sociale qui permet au collectif de dire quel apprentissage est important socialement ou non. Si apprendre est naturel, la formation nécessite de mettre en place des dispositifs de coercition pour assurer la transmission de ce que la société pense être juste à un moment donné. La consommation de formation consisterait à se former dans ce qui donne de la valeur sociale, ce que Jean Baudrillard appelle des “signaux de valeurs” dans “la société de consommation” (1970). 

La formation est sociale. Elle est productrice de signaux de valeur ou de signaux de reconnaissance sociale. Et l’apprenant se dote dans son parcours de ses marqueurs pour augmenter son employabilité. L’employabilité, ou la désirabilité professionnelle, repose sur deux composantes. La première est tangible, l’offre et la demande de cette compétence ou connaissance. Une trop grande quantité de ce marqueur social face à une demande modeste, se traduira par une dévalorisation de sa désirabilité. La seconde composante est de permettre à l’individu de mettre en spectacle sa reconnaissance. Il devient créateur de sa propre valeur en fonction de son historique et de la façon dont il voit son activité, son métier ou sa profession. C’est ce que l’on appelle, le professional branding, faire de son parcours une marque professionnelle qui fasse échos aux signaux que la société reconnaît. 

Pourquoi la formation est devenue consommation ? La société a de plus en plus de mal à produire et à reproduire des métiers qui fassent sens avec les besoins du moment. Sans parler de bureaucratie au sens de Michel Crozier, l’infobésité a permis de redonner la main à l’individu, qui reprend la possibilité de se réinventer en fonction de ses envies. Penser que la formation est un objet objectif, c’est oublier la subjectivité des objets. Un Coca-cola n’est pas seulement une boisson pour se désaltérer, c’est aussi un référentiel à un univers de vie, une façon de dire que l’on adhère à cette promesse. C’est aussi l’enjeu de la formation, sortir du monde de la réclame, cet univers de la performance rationnelle, “le mini-learning, mini prix, mais, il fait le maximum”, pour entrer dans celui de la publicité, une promesse produit qui dépasse les seules activités apprenantes. Faire de l’apprenante un militant social, “just do it”. 

2, Qu’est-ce qu’un consommateur de formation ? 

La marchandisation de la formation fait référence au marché et pour que le marché fonctionne bien, le prix permet de déterminer une valeur sociale qui fasse rencontrer une offre et une demande. Le marché de la formation n’est pas un marché transparent même si de nombreux efforts ont été réalisés, surtout avec la plateforme CPF. Le prix ne joue pas son rôle pour optimiser les contraintes de chacun. Et ceux d’autant que viennent d’arriver les formations gratuites comme les MOOC qui sont de très bonne qualité et qui brouillent le signal des prix. Mais le prix n’est pas suffisant, il nécessite, pour les amoureux de la littérature économique, la fiction du commissaire-priseur. C’est celui qui dit quelle formation est imputable et s’il s’agit d’une formation de qualité de façon à minimiser les erreurs sur la définition du produit. Traditionnellement, en France, c’est le rôle de l’Etat. Son rôle est donc essentiel dans le bon fonctionnement de la consommation du marché de la formation. 

L’Etat comme agent certificateur pour qualifier le marché. Il est celui qui dit le bien. Prenons un exemple, les diplômes. Il s’agit d’un marqueur social que l’éducation nationale définit autour d’un programme pour donner une identité à une connaissance ou une compétence. Mais le marqueur est historisé. Un diplôme de responsable de formation est une convention, comme il existait la filière des sciences de l’éducation et pour éviter de faire doublons, c’est la branche ressources humaines qui a qualifié le diplôme. La conséquence ? La partie pédagogique est très peu abordée, tout comme la partie tech que ce soit sur la veille ou la pratique, et tout comme la partie marketing de la formation… et pourtant ce sont des éléments demandés par les entreprises. Autrement dit, la formation de RF ne fait pas le RF, tout comme la carte de fait pas le territoire. Il s’agit de convention. Certains propose même de s’affranchir de ces marqueurs qu’ils considèrent comme obsolètes, l’Ecole 42 ne propose pas de diplômes, d’autres produisent des open badges, beaucoup plus agiles.  La consommation réinterroge le commissaire-priseur. 

Le droit à la consommation, c’est bien plus qu’une politique de rationalisation des choix. C’est une information pour permettre le consentement éclairé et réfléchit du consommateur. C’est une liberté nouvelle que de redonner à l’apprenant le choix de l’engagement et à l’entreprise éclairée d’orienter ce choix pour que non seulement l’apprenant fasse le bon choix, mais qu’il le fasse avec enthousiasme.   

3, Qu’est-ce que la consommation de formation pour l’entreprise ? 

Georges Friedmann, en 1954, avait parlé de l’émiettement du travail comme aujourd’hui on peut parler de l’émiettement des apprenants. Norman Elias avait écrit en 1987 “la société les individus”. Cette organisation sociale correspond assez bien à la théorie du capital humain proposé par Gary Becker. Proposer une théorie de la formation centrée sur les choix de l’individu. Cette théorie enrichie par de nombreux auteurs permet de partir du choix individuel, plus ou moins rationnel, de calculer un optimum social, c’est-à-dire un choix individuel qui une fois agrégé conduit à une situation idéale du point de vue économique, un optimum. 

Redonner la main à l’individu, est comme nous l’avons vu (https://affen.fr/pedagogie/quest-ce-quune-relation-apprenante/)  possède de nombreux déterminants. Mais ce qui est intéressant dans la théorie du capital humain, c’est qu’il donne les moyens d’évaluation à l’apprenant sur son propre retour sur investissement, un quantify self comme on dirait aujourd’hui. Ce qui est intéressant dans la consommation, c’est que les choix ne sont pas considérés comme seulement rationnel. Edwards Bernays, neveu de Freud et inventeur du marketing a très vite compris l’influence des autres, des fake news, … qui ouvrent voie à de nouveaux outils de pilotage dans la relation apprenante. La consommation est affective, elle permet de sortir la formation des profilages abstraits pour comprendre les comportements des consommateurs. Les apprenants sont d’abord affectifs dans leurs choix. 

La consommation de la formation consiste à tenir compte des véritables aspirations des apprenants à la fois dans ses attentes exprimées mais aussi dans sa dimension émotionnelle non exprimée. L’apprenant-roi, c’est apprendre à connaitre l’apprenant dans plus de dimension. C’est engager un nouveau rapport au savoir, donner de la saveur au savoir, développer de la désirabilité individuelle qui au final fait de la performance collective. Tout le travail consiste à comprendre la relation apprenante tout aussi bien dans l’accroche pour capter l’attention, que dans la réalisation de la promesse apprenante que dans sa fidélisation dans le temps, savoir construire une confiance apprenante. La question de la consommation n’est pas “marketing or not marketing” mais quel type de marketing et comment atteindre l’apprenant qui ne cesse de se réinventer. 

La formation est un apprentissage socialisé, reste à savoir comment la société ou l’entreprise veut organiser la façon d’imposer le savoir qu’elle a choisi. Soit on l’impose par l’autorité et la force comme dans l’Organisation Scientifique de la Formation, la raison rationnelle fait force de loi, soit on l’impose par l’adhésion individuelle de l’apprenant, c’est le travail du marketing, orienter les choix vers les enjeux stratégiques de l’entreprise. La consommation de la formation est plus un outil qu’une finalité. Derrière cet outil se retrouve tout le travail de choix stratégique dans un monde en disruption. Et ceux qui confondent la finalité et l’outil, sont ceux qui confondent le thermomètre et le malade… un thermomètre n’a jamais soigné un malade, c’est un outil au service d’un projet. Mais ceux qui n’ont pas de projet, ont beau jeu de critiquer l’outil pour se donner une consistance, là où la consommation a une ambition réenchanter la formation. 

Paris, le 27 octobre 2020 

@StephaneDiebold 

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